Nouvelles 27 JUIL 2012

David Millar : Erreur de parcours

Franc Jeu s’entretient avec David Millar, membre du Comité des sportifs de l’AMA et cycliste britannique.

Franc Jeu : On a beaucoup entendu parler au cours des six derniers mois de la règle de l’Association olympique britannique (AOB) et de ses conséquences pour vous. Est-ce que ce fut une importante source de distraction ou avez-vous réussi à continuer votre entraînement et vos compétitions normalement?

David Millar : Il s’agit d’une situation plutôt abstraite pour moi. Ce n’est pas un combat que j’ai choisi de mener, mais c’en est un pour lequel – pour le meilleur et pour  le pire – je suis devenu une image publique. Cela n’a pas affecté mon entraînement ni mes compétitions,  en fait (étonnamment) j’étais le capitaine de l’équipe  du Royaume-Uni qui a permis à Mark Cavendish de remporter le Championnat du monde l’an dernier.

FJ : Ce n’est plus un secret : vous avez été sanctionné pour dopage, et depuis, vous avez adopté une position claire contre le dopage, notamment à titre de représentant du Comité des sportifs de l’AMA. Vous devez réellement penser que tous les sportifs devraient avoir droit à une seconde chance : est-ce difficile pour vous de concilier vos actions passées avec le fait de compétitionner encore aujourd’hui?

DM : Je crois sincèrement qu’une personne devrait avoir droit à une seconde chance, pour des raisons évidentes, mais également parce que j’estime que nous pouvons apprendre de nos erreurs. Nous visons tous la perfection  et l’idéalisme, en particulier dans le monde du sport, mais nous les atteignons rarement et parfois nous échouons lamentablement.

J’essaie de racheter la faute terrible que j’ai commise en devenant une meilleure personne, en servant d’exemple et en faisant de la sensibilisation dans le monde du sport.  En faisant cela, je sens que je paye ma dette à la société qui m’a donné une deuxième chance. Mon objectif est d’éviter que les jeunes sportifs aient à vivre ce que j’ai vécu. Si je peux y arriver, j’aurai l’impression que mes actions passées, aussi répréhensibles et regrettables qu’elles aient été, auront servi une bonne cause.

FJ : Vous êtes devenu père récemment, félicitations! Croyez-vous que cela a changé votre vision de ce que signifie être un sportif, et du privilège qu’ont les sportifs d’élite de pouvoir compétitionner au plus haut niveau dans le monde du sport?

DM : La paternité a sans aucun doute changé ma perception du monde dans lequel nous vivons, et je crois que si un parent ne ressent pas la même chose, il passe  à côté de l’une des joies fondamentales d’avoir un enfant.  Mais étrangement, cela n’a pas modifié ma vision des sportifs d’élite puisque j’avais déjà pris conscience de leur privilège pendant ma suspension de deux ans. Le fait d’être exclu du monde dans lequel j’avais grandi et de ne plus être considéré comme un enfant chéri (ce qui est le cas de presque tous les sportifs d’élite même s’ils n’en ont pas toujours conscience) m’a enfin permis de réaliser la chance incroyable que j’avais.

Cela fait maintenant partie de mon bagage et je m’efforce  de bien faire comprendre à mes pairs qu’il s’agit de moments magiques qu’il ne faut pas tenir pour acquis. Les sportifs d’élite parlent souvent de sacrifices, comme moi quand j’étais plus jeune, mais il est important pour eux de réaliser que ces « sacrifices » sont en réalité des choix qu’ils font pour pouvoir profiter véritablement de  ce qu’ils ont et l’apprécier pleinement.

FJ : Vous souvenez-vous de la toute première fois où vous  avez utilisé une substance améliorant la performance? Est-ce que cela a été une décision difficile à prendre pour  vous compte tenu de la culture du cyclisme à cette époque?

DM : Je m’en souviens très bien. C’était plutôt décevant, et sans résultats instantanés, comme les gens pourraient le croire. Je me battais depuis des années pour ne pas faire partie des sportifs qui se dopent, alors quand je suis devenu un des leurs, tout ce que j’ai ressenti était de la résignation et de la tristesse puisque j’étais devenu ce que j’avais toujours détesté le plus.

FJ : De toute évidence, vous n’avez jamais été à l’aise avec l’idée de prendre des substances dopantes. Vous reconnaissez-vous dans la personne que vous étiez  à cette époque, et serait-il juste d’affirmer que vous  êtes plus heureux depuis que vous avez tourné le dos  à ces substances?

DM : Je détestais me doper. Je devais mentir constamment et prétendre être une personne que je n’étais pas. Cela me rongeait et m’a lentement transformé pour le pire. J’étais devenu méconnaissable aux yeux des personnes qui me connaissaient le mieux au monde. J’ai le cœur brisé quand je pense à la souffrance qu’ont dû endurer les membres de ma famille. Ils savaient que quelque chose n’allait pas, mais je ne voulais pas leur dire ce que c’était.

Cela m’attriste également de me rappeler à quel point je me sentais seul et malheureux. Je ne voudrais pour rien au monde revivre cette période-là. Je suis une meilleure personne et plus heureux maintenant. Les substances dopantes ont failli me tuer, pas physiquement, mais par les dommages psychologiques qu’elles m’ont causés.

FJ : Les médias ont rapporté que vous n’étiez pas certain de vouloir participer aux Jeux olympiques de Londres  en 2012. Est-ce vrai, et si oui, pourquoi remettez-vous en question votre participation?

DM : Il est vrai que je ne suis pas certain de participer  aux Jeux de Londres en 2012. J’ai passé les huit dernières  années à rebâtir ma vie et je souhaite que mon histoire  permette de transmettre un message positif. En participant aux Jeux olympiques, je crains de devoir subir, et surtout de faire subir à ma famille et à mes amis, des commentaires négatifs, et de susciter encore plus la  controverse. Je ne sais pas si je suis prêt à vivre cela.

FJ : Certains sportifs de haut niveau et dirigeants du milieu  sportif ont affirmé dans les médias que Dwain Chambers  et vous ne devriez pas pouvoir compétitionner à Londres.  Comment réagissez-vous à ces commentaires?

DM : Je leur répondrais en leur demandant ce qu’ils savent au juste à propos de mon histoire. Et je demanderais à ces mêmes personnes comment elles réagiraient si un de leurs enfants était incité à utiliser des substances  dopantes pour améliorer ses performances et que cela l’amènerait presque à détruire sa vie, torturé par le remords. Il est beaucoup plus facile de parler d’éthique que de faire preuve d’empathie.

FJ : Vous êtes un membre très actif du Comité des sportifs  de l’AMA et votre expérience a une grande valeur. À votre  avis, quelles sont les répercussions de votre position antidopage sur les autres athlètes?

DM : J’espère que les répercussions sont importantes. C’est la raison pour laquelle je suis très fier de mon rôle au sein du Comité des sportifs de l’AMA : il me permet de me faire entendre en vue de contribuer réellement au changement. C’est bien de faire des conférences, de donner des entrevues, d’écrire un livre et même d’avoir ma propre équipe avec une position antidopage très proactive, mais en fin de compte, le moteur de changement le plus puissant demeure l’AMA.

FJ : Avez-vous déjà été approché par un autre sportif qui vous a demandé des conseils pour savoir comment reconstruire sa carrière après un épisode de dopage et comment demeurer un compétiteur « propre »?

DM : Oui, et plus d’une fois. Un membre de notre équipe actuelle s’est déjà dopé : Thomas Dekker, un jeune homme qui s’est retrouvé dans une situation semblable  à la mienne et qui a fait les mêmes erreurs. Il est en train de refaire sa vie et nous allons l’aider à y arriver. Nous croyons que la meilleure façon d’encourager les jeunes membres de notre équipe à ne pas avoir recours aux substances dopantes est de leur faire entendre l’histoire d’un sportif qui s’est déjà dopé et qui le regrette.

Cela leur rappelle constamment et concrètement les dures  réalités auxquelles ils peuvent faire face. Nous sommes peut-être « l’équipe propre », mais nous vivons dans la réalité et nous voulons que la prochaine génération y  soit préparée.

FJ : Croyez-vous que le moment est venu pour les sportifs  de jouer un rôle plus actif dans la lutte contre le dopage? Si oui, comment croyez-vous qu’ils doivent s’y prendre?

DM : Je crois que tous les sportifs devraient participer activement à la lutte antidopage. Cela pourrait se faire en affirmant fièrement « Je suis propre », ou en entrant correctement et sans se plaindre les informations sur  leur localisation dans ADAMS. Nous avons également  la responsabilité de voir les deux côtés de la médaille, de reconnaître quels sont les sportifs qui sont les plus susceptibles de se doper et d’éloigner les membres de leur entourage qui pourraient les influencer à utiliser  des substances dopantes.

Les sportifs d’élite peuvent aujourd’hui profiter des efforts  acharnés de centaines – voire de milliers – de personnes qui ont bâti un environnement dans lequel ils peuvent pratiquer leur sport de façon juste les uns contre les autres.  Mais les sportifs ne devraient pas tenir cela pour acquis; et ce n’est pas à sens unique. Ils doivent eux aussi essayer  de donner en retour, aussi petite soit leur contribution.

(Au moment d’accorder cette entrevue, David n’avait pas encore décidé s’il allait compétitionner aux Jeux olympiques de Londres 2012).